Je vous présente un article du tiré Figaro sur le « trouble de stress post traumatique » réalisé par Mme Pascale Senk.
Voici la retranscription de cet article:
I) PSYCHO TRAUMATISME : DE NOUVELLES VOIES DE GUÉRISON
Étudié assez tardivement, il est de mieux en mieux compris et appelle à de nouvelles prises en charge.
Qu’y a-t-il de commun entre ce soldat revenu d’Irak, l’enfant qui a été abusé sexuellement par un proche et l’ambulancier de service une nuit d’attentats à Paris ? La confrontation à la violence ? Certainement, mais pas seulement. Dans des circonstances très différentes, tous trois ont été amenés à éprouver un extrême sentiment d’impuissance. Face à l’horreur et l’ignoble, ils ne pouvaient fuir et ont été immobilisés durant quelques séquences par ce que la clinique nomme le « figement », une sidération, une « dissociation » entre le cerveau émotionnel et le cortex frontal qui les a engourdis. Paradoxalement, cette « anesthésie » naturelle censée protéger la personne de la folie ou de l’effondrement est particulièrement dévastatrice.
L’autre point commun entre ces victimes: tous trois souffriront sans doute de troubles de stress post-traumatique (TSPT). Flash-back, cauchemars, évitement des situations rappelant ou symbolisant l’événement traumatique, irritabilité, froideur ou crises de colère inexplicables, dépression… À chacun son syndrome, se manifestant parfois des années après les événements.
Des traitements à repenser
– À l’heure où, sur demande gouvernementale, une dizaine de nouvelles unités spécialisées dans ces troubles, des « centres de soins et de résilience du psycho- traumatisme », vont ouvrir sur notre territoire, on en sait chaque jour un peu plus sur celui-ci, finalement repéré assez récemment auprès des GI’s revenus du Vietnam. Au niveau international, le champ d’étude du psychotrauma n’a cessé de s’étendre et de s’approfondir, pour de mauvaises raisons malheureusement : en se multipliant, les victimes de violences sexuelles, de guerres et d’attentats ne cessent de motiver la recherche. De plus, on peut réellement voir, grâce à la neuro- imagerie, les impacts altérant leur activité cérébrale. Bessel van der Kolk, l’un des plus grands spécialistes du psychotraumatisme, en décrit les multiples effets dans son ouvrage enfin traduit en français (lire ci-contre). Le trauma affecte les zones de gestion de la menace, de conscience du corps, de la perception de soi, de l’écoulement du temps…
– Face à de tels bouleversements, les traitements doivent être repensés. « Malheureusement, nous manquons encore cruellement de personnels formés à cette prise en charge spécifique du psychotraumatisme », regrette le Dr Gérard Lopez, président de l’Institut de victimologie.
– L’idée qu’« en parler » lors d’un accompagnement psychologique suffirait semble désormais caduque. Pour l’heure, trois types de thérapies ayant été évaluées sont recommandées : les thérapies comportementales et cognitives, qui « visent à exposer le psychotraumatisé à ce qu’il redoute pour s’en dégager progressivement et à changer le regard sur le monde qu’il pose » ; l’EMDR, qui permet de revivre en imagination et accompagné la scène traumatique afin de la délester de sa charge émotionnelle ; enfin, dans un même esprit, l’hypnose.
– Le Dr Daniel Dufour, pour l’avoir expérimenté dans sa chair, insiste pour sa part sur la nécessité de réhabiliter la colère des victimes, trop souvent passée sous silence. « À l’origine du trauma, il y a cette énergie bloquée, une intense rage refoulée », explique cet ancien médecin de guerre, auteur de Le Bout du tunnel, guérir du stress post-traumatique (Éd. de L’Homme). C’est elle, véritable bombe à retardement, qui affecte le système immunitaire, provoque des somatisations.
– Pour la débloquer, il faut pouvoir, en étant très encadré, retourner mentalement dans la situation traumatisante. Or, trop souvent dans les cellules de crise, les victimes entendent des consignes telles qu’« Apaisez-vous ! », se voient prescrire des médicaments et retournent même leur colère contre eux en affirmant, par exemple : « Je n’aurais pas du aller» ou «je n’ai pas su dire non ».
– Dans le cas des militaires, pompiers et soignants, ce refoulement est encore plus destructeur. Ces professionnels, s’ils ont toute une série de gestes et procédures à accomplir pour réagir aux situations extrêmes, doivent passer sous silence leurs émotions. Et chez eux, le psychotraumatisme s’inscrit avec la chronicité des situations traumatisantes : la fréquentation régulière de l’horreur n’amoindrit pas la colère face à celle-ci, au contraire.
– Le Dr Gérard Lopez confirme que cette prise en compte de la colère est capitale: « Trop souvent, la victime la dirige “contre” la police, la justice, les proches, les soignants… Il faut au contraire la mobiliser vers la reconstruction et non contre soi-même. » Autant dire que c’est une réparation corps et esprit qui s’impose.
II) « REACTIVER L’AUTOREGULATION DU CORPS »
Bessel van der Kolk, professeur de psychiatrie à la Boston University, fondateur du Trauma Center de Boston, vient de publier Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme (Éd. Albin Michel).
LE FIGARO. – Quels signes doivent amener à diagnostiquer un psychotraumatisme ?
– Bessel VAN DER KOLK. – Les plus évidents apparaissent rapidement après que la personne a été exposée à un événement horrible bouleversant ses mécanismes adaptatifs. Cela entraîne de l’agitation, des insomnies, des cauchemars, d’intenses réactions à la surprise, de la détresse et une incapacité à gérer des relations complexes. De nombreuses personnes montrent aussi un engourdissement psychique et une inhibition des émotions alternant avec les souvenirs intrusifs et envahissants.
Ces symptômes sont-ils durables ?
– Tous ces symptômes peuvent persister pendant des années et, avec le temps, semblent dissociés de l’événement traumatique d’origine, car les troubles se manifestent au quotidien. Les proches, les collègues et souvent les médecins eux-mêmes estiment alors que la personne est « grincheuse », difficile à approcher, une antisociale chroniquement en colère et anxieuse. À ce stade, la psychiatrie dispose de nombreuses étiquettes pour qualifier la pathologie rencontrée, mais toutes passent à côté du fait que ces comportements et émotions sont les résidus d’un choc provoqué par d’anciennes expériences qui continuent à colorer la vie présente.
Le sentiment d’impuissance éprouvé lors de l’événement traumatisant est-il particulièrement destructeur ?
– Oui, sur un plan psychologique, la détresse est l’élément central du processus traumatisant. Mais celui-ci affecte de nombreuses aires du cerveau dédiées à la régulation corporelle, à l’attention et à l’autorégulation. Une des nombreuses manifestations de ces effets neurobiologiques est le déséquilibre chronique au niveau physique : les personnes traumatisées ont un taux supérieur de maladies gastriques et cardiaques. Le traumatisme perturbe le système immunitaire, et les individus régulièrement exposés ont une espérance de vie inférieure de dix ans à celle d’individus non exposés.
Comment combattre de tels effets ?
– Le terme de « combattre » sonne bizarrement dans un tel contexte. Quand le cerveau, le corps et l’esprit sont bouleversés par l’horreur d’être agressés et terrorisés, la meilleure protection des êtres vient d’un environnement soutenant, conscient de la réalité de ce qui leur est arrivé et qui les protège activement. Heureusement, parmi les découvertes innombrables que nous avons faites concernant le rétablissement d’un psycho- traumatisme, il y a ce fait que le corps possède ses propres mécanismes d’autorégulation, qu’on peut réactiver grâce à la respiration, le mouvement, l’activité physique et le toucher. Nous avons découvert par exemple que le yoga, vénérable tradition ancestrale qui apprend à réguler ses fonctions corporelles, est plus efficace que la plupart des médications prescrites dans le traitement du stress post-traumatique. Et en général, certaines techniques telles que les arts martiaux, le tango ou le qi gong se révèlent très efficaces dans le traitement du stress post-traumatique pour restaurer un sentiment de pouvoir, de force et d’efficacité physiques.
Qu’en est-il de la pratique de la méditation ?
– C’est une merveilleuse méthode qui permet de devenir conscient et de gagner en maîtrise sur des processus internes envahissants.
Diverses études ont montré que la partie observatrice du cerveau – le cortex préfrontal médian – est directement connectée à la zone cérébrale qui reste en état d’alarme par rapport à sa survie. Les limites concernant la méditation, c’est que se tenir tranquille, en observant ce qu’on vit dans le silence, peut être une expérience extrêmement terrifiante pour ceux qui ont subi un traumatisme.